Thomas jolly

Metteur en scène
assisté de Samy Zerrouki

Thomas jolly

Metteur en scène
assisté de Samy Zerrouki

C’est grâce à Thierry Suc que je suis entré en mars 2019 dans l’aventure de Starmania. Le projet de remonter l’œuvre pour ses 40 ans était lancé et il fallait trouver à qui confier la mise en scène. J’ai d’abord rencontré Luc Plamondon, Bruck Dawit et Raphaël Hamburger. Tous trois sont venus découvrir mon travail au théâtre ou à l’opéra ce printemps-là. Puis j’ai eu à présenter un projet fictif de mise en scène. Je m’y suis jeté avec passion. En deux semaines à peine j’ai écrit un projet -bien sûr, conçu de manière complètement spontanée, dans un sentiment d’urgence. Me confronter à une œuvre aussi importante, aussi profondément ancrée dans la culture populaire contemporaine, qui résonne avec tant de force dans la mémoire collective -et dans ma propre mémoire- était un défi extraordinaire.


Ce projet était une traversée complète de l’œuvre, guidée par la volonté de remettre en lumière ce que Starmania dit de notre société, de notre monde. Et surtout, mon intention était de proposer une narration lisible, par-delà la vie autonome que les chansons ont acquise en 40 ans de succès. La fable de Starmania s’est, d’après moi, effacée derrière les chansons et diluée au fil des mises en scène.


L’axe du projet était donc de remettre à jour ce livret, certes visionnaire, mais toujours très parlant aujourd’hui en travaillant sur l’ordre de chansons, les transitions, en faisant revenir un personnage disparu depuis la première version… A l’issue de cette présentation, en juillet, j’ai donc été choisi pour endosser la mise en scène du spectacle et le travail a alors véritablement commencé.


Celui de la dramaturgie, d’abord. Avec Luc, chez lui, nous sommes repartis de l’origine de la version de 1978-1979, de son ADN. Nous avons travaillé ensemble pour rebâtir la narration. Je me suis plongé dans ses archives qu’il a accepté me partager. Je me suis nourri de tous les documents, articles, documentaires… nous avons aussi beaucoup échangé avec Bruck Dawit et Raphaël Hamburger. J’ai par ailleurs rencontré des spectateurs de la première heure, des spécialistes du genre… pour m’approcher au mieux de “l’esprit” originel de l’œuvre. Au bout de 2 mois ce travail a
donné lieu à un nouveau livret.


C’est sur la base de ce nouveau livret que j’ai imaginé un projet de scénographie, qui cette fois n’était plus fictif, mais qui restait encore un peu trop raisonnable : « Tu ne rêves pas assez, lâche-toi ! », m’a encouragé Thierry Suc. Je me suis tellement lâché que je suis arrivé à un deuxième projet, complètement infaisable. Avant d’aboutir, en janvier 2020, au projet définitif. Nous étions alors à 9 mois de la date prévue pour la première, autant dire sur les starting blocks. Les castings étaient en cours entre Paris et Montreal. Costumes, maquillages, lumières… tout le processus de création était
lancé. C’est alors que la pandémie de Covid est venue tout bouleverser suscitant chez chacun de nous frustration et dépit. Maintenant que ces sentiments se sont estompés, je pense que ce temps donné nous a permis de tout préciser, de tout peaufiner, de laisser nos idées foisonnantes se décanter. Et qu’il a finalement été une chance.


Starmania est une œuvre hybride, qui articule plusieurs disciplines, la musique, le texte, la scène, la danse ; plusieurs formats, ancrés pour les uns dans la culture française et européenne, l’opéra, la tragédie, pour les autres issus de l’univers canadien -et américain- des lyrics et de la comédie musicale ; plusieurs registres, allant de la science-fiction, très présente dans le projet original, au réalisme qui marquait davantage la version de 1988, le bar, la banlieue, le travail… Mon principal défi est de prendre en compte toutes ces hybridations, qui font la profondeur de l’œuvre, et d’en rééquilibrer les valeurs.


Starmania est une œuvre tragique au sens classique du terme, c’est-à-dire marquée par le destin, l’inexorable. Tout le monde cherche à s’élever, mais tout le monde meurt. Chaque personnage incarne une tentative d’existence, mais toutes sont avortées. C’est une vision presque nihiliste, une œuvre sur la dépression, la mélancolie, l’angoisse du rapport au temps, l’angoisse et la violence de vivre. Les mots choisis par Luc Plamondon pour traduire ce mal-être, cette recherche éperdue d’une place – sa place – dans le monde sont d’une force incroyable. Je dirais même shakespearienne : Luc Plamondon met des mots simples sur des états intérieurs complexes que nous connaissons- ou avons connu – tous et toutes. C’est certainement aussi l’une des clefs de leur succès populaire et intergénérationnel. 


Le projet scénographique vise à retranscrire cette énergie noire, cette énergie du désespoir, du néant. Le plateau est un gigantesque vide, l’espace, donné dans toute sa brutalité, évoque le parvis de Monopolis. Comme dans la tragédie, de Sophocle à Shakespeare, comme dans l’opéra, l’action se déroule hors champ. Les personnages s’avancent sur ce parvis pour la raconter. Se livrer à nous.


Exposer leur intimité. Tout se passe dans ce jeu sur les noirs, les mouvements entre le fond et l’avant-scène, les apparitions et les disparitions. Comme si les personnages étaient noyés, manœuvrés, broyés par la grande ville tentaculaire de Monopolis. 
Cette scénographie prend également en charge le caractère épique de l’œuvre : sa beauté réside justement dans cette alliance des petites histoires des personnages avec la grande Histoire de l’Occident.

Crédit photo : ©Olivier Metzger/Modds